Papa dit oui, maman dit non: le défi de l'éducation

Articles du Journal La Croix du mercredi 20 avril 2011 de Paula Pinto Gomes

 

Papa dit oui, maman dit non


L’éducation des enfants est parfois source de désaccords. Pourtant, ces différences de vue peuvent se révéler une richesse pour l’enfant, à condition que celui-ci puisse se référer à des valeurs communes



Avant la naissance de leur fille, Pierre et Mathilde faisaient figure de « couple idéal », toujours à l’écoute l’un de l’autre, en accord sur l’essentiel. Et puis un jour, l’enfant est arrivé et, petit à petit, leur relation a changé. « Les deux premières années ont d’abord été merveilleuses, nous arrivions à nous entendre sur les soins et l’attention à apporter à notre bébé, raconte la maman. C’est ensuite que les choses se sont gâtées, quand il a fallu commencer à lui poser des règles, lui fixer des interdits. Là nous n’étions plus d’accord sur rien, ou presque, et les disputes sont devenues très fréquentes. » Encore étonnée par ces divergences, la jeune femme égrène quelques sujets de discorde avec son conjoint : elle interdit les dessins animés à table, il considère que ce n’est pas dramatique si cela reste ponctuel. Elle refuse de « trop gâter » leur fille, il lui achète régulièrement des « babioles » … Autant dire que les discussions sont parfois vives chez ce couple de trentenaires parisiens qui, après cinq ans de vie commune, pensaient pourtant partager la même conception de l’éducation.

 

Mais de la théorie à la pratique… Lorsque l’enfant paraît, rien ne se passe vraiment comme les parents l’avaient imaginé et chacun gère surtout en fonction du système de valeurs qu’il a connu dans sa propre enfance. « Les jeunes couples ont tendance à vouloir se démarquer de leurs parents, mais dès qu’ils deviennent père et mère, ils finissent par se rapprocher psychiquement de leur famille, sans toujours en avoir conscience, note Serge Hefez, psychiatre, psychanalyste et thérapeute de couple. Or, lorsque les deux sont confrontés à des représentations très différentes de ce que doit être une mère, un père, ou une famille, cela peut devenir très conflictuel. Et l’éducation risque de se transformer en enjeux de pouvoir sur ce que chacun transmet de sa culture personnelle. »


Tous les couples n’ont pas l’impression de vivre un tel rapport de force, mais les petites divergences au quotidien finissent par peser sur leur relation. Repas, sommeil, télévision, cadeaux, punitions, sorties… Les motifs de frictions entre les parents ne manquent pas. D’autant qu’ils ont tendance à « surinvestir » l’enfant, devenu un véritable « objet de passion » et « le dépositaire d’attentes fortes », observe Daniel Coum, psychologue clinicien, directeur de Parentel (lire les Repères) . « Il revêt une importance de plus en plus grande aux yeux des deux parents ensemble, mais aussi de chacun, séparément ; il est plus que jamais l’enfant de celui qui le désire, poursuit le spécialiste. Cette situation nouvelle impose au père et à la mère de s’accorder davantage qu’auparavant sur la manière dont ils vont l’élever ensemble. »


Envisager l’éducation à deux peut en effet s’avérer compliqué pour un couple moderne où chacun affirme son identité et revendique les mêmes compétences que l’autre. Autrefois, les rôles étaient clairement définis : l’autorité pour le père, les soins pour la mère. « Chacun faisait ce qu’il avait à faire et il n’y avait pas, ou peu, de disputes », relève Serge Hefez. « Aujourd’hui, c’est différent, les couples sont moins complémentaires, poursuit-il. L’homme et la femme sont devenus des individus “complets”, avec des caractéristiques à la fois maternelles et paternelles. Ainsi, les mères sont plus indépendantes et les pères plus maternants, leurs tâches se sont en quelque sorte homogénéisées. » Résultat: chacun finit par empiéter un peu sur le territoire de l’autre et la relation dans le couple devient plus conflictuelle. « Les façons d’aimer et de s’occuper de l’enfant étant plus analogues, il y a davantage de tensions, de rivalités pour savoir qui fait quoi, qui fait bien, qui a raison, qui aime plus», ajoute le psychanalyste.

 

Cette compétition révèle, au fond, une envie de bien faire de la part des parents, qui, soumis à une pression sociale de plus en plus forte, veulent réussir au mieux l’éducation de leurs enfants. Une quête de perfection qui masque, en réalité, des doutes et parfois même un certain désarroi face à la tâche éducative, à une époque où les modèles font défaut.

«Nous avons réussi à nous débarrasser d’un certain nombre de dogmes qui pouvaient aliéner les individus, parce qu’ils disaient à chacun comment être homme, femme, père, mère, explique Daniel Coum. Mais nous payons le prix de cette libertélà par une grande indétermination et une grande incertitude. »


L’absence de repères et de modèles oblige ainsi les parents à négocier en permanence le partage de l’éducation. Tout est discutable, donc tout doit être discuté. Et le dialogue devient plus que jamais indispensable pour trouver des terrains d’entente. « Devant les enfants, les parents feront ce qu’ils feront, mais leurs positions seront d’autant mieux ajustées qu’ils auront passé du temps ensemble et pris soin de ce qui les unit », estime Daniel Coum. Seulement voilà, discuter, négocier, s’accorder, cela demande du temps, de la communication et parfois même un vrai travail de la part des parents, qui peuvent aussi solliciter l’aide d’un tiers lorsque la tâche s’avère trop difficile. Car ces tensions peuvent vite gâcher la vie de famille et éloigner le couple, d’autant que l’enfant perçoit très bien les divergences et tente d’en profiter. « Il apprend à tirer les ficelles pour obtenir ce qu’il veut, mais ce comportement cache souvent une angoisse et un sentiment de culpabilité », analyse Serge Hefez (lire l’entretien p. 15) .

S’ils peuvent parfois alimenter la discorde, les enfants ont d’abord besoin de cohérence et d’harmonie pour grandir. Aussi, est-il « préférable de ne pas exposer systématiquement des désaccords importants devant eux et surtout d’éviter de se disputer en leur présence, rappelle Catherine Serrurier, thérapeute de couple. On peut, bien sûr, avoir des points de vue différents, mais on ne contredit pas et on ne critique pas ouvertement le conjoint. Il vaut mieux accepter sa décision et en discuter ensemble, une fois seuls. » Pour autant, exprimer des divergences n’est pas forcément traumatisant, à condition de le faire dans le calme et le respect de l’autre. L’essentiel, disent encore les spécialistes, est de ne pas faire jouer un rôle à l’enfant dans le conflit parental.

 

En somme, i l ne faut pas confondre accord et uniformité. La différence entre les parents est aussi une richesse. « L’enfant a besoin de cette distance pour se construire, confirme Daniel Coum. S’il a affaire à des clones parlant d’une même voix, il se trouve soumis à une forme de toute-puissance dont il aura du mal à se dégager. » Accepter que le conjoint pense et agisse différemment ne va pourtant pas toujours de soi, tant chacun est convaincu d’avoir raison. Mais il faut « apprendre à lui faire confiance, car lui aussi aime l’enfant, rappelle Marie-Christine Parmentier, conseillère conjugale au Cler. Si le père et la mère n’ont pas toujours le même point de vue, n’oublions pas qu’ils ont le même objectif : le bien-être de leurs enfants. » Peu importe donc que chacun gère à sa façon les petites tâches du quotidien, l’essentiel est finalement de réussir à s’accorder sur l’essentiel.

repères

Quelques livres

 

Scènes de la vie conjugale, de Serge Hefez, Éd. Fayard, 224 p., 18 €.  

De la difficulté d’être parent, sous la direction de daniel coum, Parentel, 230 p., 19 €.

 

C’est de ta faute ! Peur, pouvoir et rivalité dans le couple, de catherine Serrurier, Éd. desclée de Brouwer, 162 p., 18 €.

 

Quelques adresses

 

voici quelques lieux où les parents en difficulté peuvent se faire aider :

 

Parentel (Ligne départementale Finistère) : un service d’écoute pour les parents, avec une consultation téléphonique, des entretiens et des réunions de parents. Tél. : 02.98.43.21.21. Site : www.parentel.org

 

 aFCCC (association française des centres de consultation conjugale) : conseil conjugal, thérapie de couple, médiation familiale, groupes de parole… Tél. : 01.46.70.88.44. siTe : www.afccc.fr

 

L’École des parents : une écoute téléphonique anonyme sur la ligne Inter Service Parents. Tél. : 01.44.93.44.93 (pour l’Île-de-France). les coordonnées pour les autres départements sont disponibles sur le siTe : www.ecoledesparents.org

 

Cler, amour et Famille, pour un conseil conjugal chrétien. Tél. : 01.48.74.87.60. siTe : www.cler.net

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021